Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS)
Étude: les droits des non-syndiqués sont mal protégés, favorisant les accidents
Par La Presse Canadienne
Malgré la réforme du régime de santé et de sécurité du travail, les droits des personnes non syndiquées au Québec sont moins bien protégés, ce qui favorise les accidents de travail et les maladies, soulève une nouvelle étude de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).
Selon l'étude publiée jeudi, la loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail adoptée en 2021 n'apporte pas de solutions pour les salariés non syndiqués en matière de prévention en santé et sécurité au travail.
«Malgré la réforme adoptée en 2021, les personnes non syndiquées rencontrent toujours des obstacles dans leur milieu de travail pour exercer leur droit de participer à la prévention de la santé et sécurité», a affirmé Mathieu Charbonneau, chercheur associé à l’IRIS et auteur de l’étude.
Depuis le 1er janvier 2024, chaque entreprise de plus de 20 employés doit mettre sur pied un comité de santé et sécurité au travail.
Dans les milieux syndiqués, c’est au syndicat de déclencher le processus pour former ce comité et nommer les membres du côté des salariés. Dans le cas d’une entreprise non syndiquée, les gens sont nommés par un vote lors d’une assemblée qui serait convoquée et organisée par un travailleur, ce n'est pas à l’employeur d’organiser ce vote.
«C’est peut-être louable qu’on veuille que la liberté reste aux travailleurs de s’organiser entre eux pour nommer les représentants en santé et sécurité au travail, mais si dans les faits ça va jamais se faire, c’est un problème», commente Raoul Gebert, professeur à l'École de gestion Management et GRH de l'Université Sherbrooke.
Il souligne qu'il peut être difficile pour un employé travaillant par exemple dans une grande entreprise de plusieurs centaines de personnes de réunir tous les travailleurs pour organiser une assemblée et désigner les représentants d'un comité.
Les non-syndiqués mal informés de leurs droits
Dans le cadre de son étude, M. Charbonneau a épluché des rapports de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et recueilli des témoignages de travailleurs pour deux secteurs: celui des entrepôts et du commerce ainsi que les garderies non syndiquées. «Dans les deux cas, on observe que les travailleurs sont souvent mal informés et ils ne disposent pas des moyens pour participer à la prévention», dit-il.
Un travailleur de nuit dans un entrepôt d'Amazon qui a participé à l'étude a confirmé cette affirmation à La Presse Canadienne. Il indique que la plupart des travailleurs dans les entrepôts d’Amazon sont immigrants et que pour beaucoup il s'agit d'une première expérience d’emploi au Québec.
Ce travailleur, qui a préféré conserver son anonymat par crainte de représailles de son employeur, a identifié plusieurs enjeux de sécurité sur son lieu de travail, comme soulever des charges très lourdes parfois dépassant les 20 kg. «Dans une journée, le nombre de boîtes qui passent par nos mains, si on additionne tous ces poids, ça va donner dans les tonnes. Avec le temps, ç'a un impact sur le corps. (...) On doit lever des boîtes lourdes en haut des épaules. Parfois on lève des objets moins lourds, mais la répétitivité est plus grande.»
Cette personne affirme connaître plusieurs collègues qui se sont blessés dans le cadre de leur tâche de travail. Elle explique qu'il existe un protocole sur son lieu de travail pour prendre en charge les travailleurs blessés, mais que plusieurs ne connaissent pas leurs droits ou le fonctionnement d'une réclamation.
«Il y a des gens que ça ne fait pas longtemps qu’ils sont au Québec donc ils ne connaissent pas du tout la CNESST. Quand ils vont apprendre comment ça marche, il va peut-être être trop tard pour faire des réclamations», a souligné le travailleur d'Amazon.
M. Charbonneau a expliqué que les personnes non syndiquées occupent souvent des emplois plus précaires. On retrouve une majorité de femmes, d'immigrants et des personnes qui travaillent pour des agences de placement. «L’ensemble de ces situations rend encore plus difficile la participation des travailleurs non syndiqués pour prévenir les accidents de travail et les maladies professionnelles», mentionne-t-il.
Des milieux non syndiqués parfois exemplaires
M. Charbonneau indique que dans la littérature scientifique, il est bien démontré que les travailleurs sont les mieux placés pour identifier les risques et comprendre les dangers. L'employé d'Amazon est bien d'accord.
«Je crois que c’est vraiment important pour les travailleurs de participer dans la prévention des accidents et des maladies dans les lieux de travail parce que c’est notre corps, notre santé physique et mentale qui est en cause. Le travail qu’on fait, on sait exactement comment cela impacte notre corps. C’est nous à la fin de la journée qui avons mal à cause du travail et qui voyons des collègues se blesser et donc on devrait avoir notre mot à dire.»
M. Charbonneau ajoute que cela permettrait de réduire les lésions professionnelles, ce qui représente des économies pour la province. «Une amélioration de la prévention dans le milieu de travail c’est aussi une réduction des coûts non seulement au régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles, mais aussi pour d'autres services publics dont le système de santé.»
M. Gebert rappelle que la responsabilité de créer un milieu de travail sécuritaire pour les salariés revient à l'employeur selon le Code civil et la loi sur la santé et la sécurité du travail. «Certains employeurs prennent très bien en charge cette responsabilité, même en contexte non syndiqué. Ils vont créer les comités, avoir une gestion participative, des plans de prévention, des plans de formation, des équipements, etc. Ce n’est pas vrai que tous les employeurs s’en lavent les mains, mais vous allez avoir une application beaucoup plus inégale», nuance-t-il.
La présence syndicale va forcer l'application de normes de santé et sécurité tandis qu'il y a plus de chance «de tomber dans les craques du système» dans les milieux non syndiqués, dit-il. Ces derniers devront parfois se rabattre sur le minimum qui est prescrit par la loi «tandis qu’avec la protection d’un syndicat on peut souvent aller un peu plus loin».
M. Charbonneau a déclaré que le Québec est à la traîne comparé au reste du Canada sur les enjeux de santé et sécurité au travail. Il a mentionné que l'ensemble des provinces canadiennes a mis en place des bureaux de conseillers des travailleurs qui donnent notamment des services d’informations et de soutient aux personnes non syndiquées par exemple sur les processus d’indemnisation en cas d’accident au travail.
«On pense que la réforme de 2021 sera un coup d’épée dans l’eau si elle ne s’accompagne pas de bureaux en soutien aux travailleurs non syndiqués comme ça se fait partout ailleurs au Canada et dans plusieurs autres pays», affirme le chercheur associé à l'IRIS.
Ces bureaux permettraient d'aider les salariés non syndiqués du Québec dans les entreprises et même pour celles des régions éloignées.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne
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