Volet à salaire élevé du programme
Travailleurs temporaires: des secteurs s'attendent à une «crise de main-d'œuvre»
Par La Presse Canadienne
Dominique Lamothe dit que l'entreprise de camionnage pour laquelle elle travaille sera en difficulté lorsque les nouvelles règles pour les travailleurs temporaires étrangers à salaire élevé entreront en vigueur vendredi.
Groupe Nadeau, une entreprise de camionnage établie au Québec, possède une flotte d'environ 200 camions et 1400 remorques entretenues par 70 mécaniciens d'équipements lourds à temps plein.
Mme Lamothe, la directrice des ressources humaines, souligne que la moitié de ces mécaniciens sont des travailleurs temporaires étrangers.
La plupart d'entre eux ont été embauchés dans le cadre du volet à salaire élevé du programme, qui s'appliquait auparavant aux emplois qui payaient un salaire supérieur au revenu médian de cette province.
Le 22 octobre, le ministre de l'Emploi Randy Boissonnault a annoncé que le plafond de revenu du volet à salaire élevé augmenterait à 20 % au-dessus du revenu médian d'une province. Cela équivaut à une augmentation de salaire de 5 à 8 $ l'heure selon la province ou le territoire.
Ce changement, qui survient alors que le taux de chômage national grimpe à 6,5 %, devrait signifier que 34 000 emplois passeront du volet des salaires élevés aux règles plus strictes du volet des bas salaires. Cela comprend le non-traitement des demandes dans les régions du pays où le taux de chômage est supérieur à 6 %.
«Nous ne pourrons pas renouveler tous ces contrats de travail à cause de cette nouvelle loi. Donc, si nous ne sommes pas en mesure de renouveler les contrats, il y aura 35 travailleurs de moins dans notre atelier de mécanique», a souligné Mme Lamothe.
Elle a ajouté que le Groupe Nadeau ne pourrait pas se permettre l'augmentation salariale pour conserver ses 35 permis de travail temporaires dans le volet des salaires élevés une fois qu'ils seront renouvelés.
Elle a ajouté qu'ils aimeraient embaucher plus de mécaniciens localement, mais qu'il y a un manque de compétences dans les demandes que reçoit le Groupe Nadeau.
«Nous examinons tous les CV que nous recevons chaque jour, mais nous n'avons toujours pas de mécaniciens qui postulent. Ils ne font pas partie des 6 % de chômeurs», a-t-elle indiqué.
En plus des lois sur l'immigration du Québec, qui exigent un certain niveau de maîtrise du français pour la résidence permanente, Mme Lamothe dit qu'ils ont du mal à recruter et à retenir des travailleurs temporaires.
Le nombre d'évaluations approuvées dans le secteur des transports a plus que doublé depuis 2020, selon les données du gouvernement, passant de 5495 en 2020 à 11 106.
Crise de main-d'œuvre en construction
Dans le secteur de la construction, un autre secteur où les entreprises s'inquiètent des changements, les approbations pour les travailleurs temporaires ont atteint 15 360 en 2023, contre 4565 en 2020. La plupart d'entre eux se trouvaient dans la filière des salaires élevés.
Rodrigue Gilbert, président de l'Association canadienne de la construction, a affirmé qu'il est plus difficile de pourvoir les emplois dans la construction que le gouvernement ne le pense.
«Nous avons toujours une crise de main-d'œuvre majeure dans le secteur de la construction. À l'heure actuelle, nous avons environ 45 000 postes vacants dans le secteur», a-t-il soutenu.
«(Le gouvernement) semble penser que (la crise de main-d'œuvre) est en train de disparaître, mais nous n'y croyons pas du tout.»
Il a expliqué que les postes vacants ne sont pas centralisés autour d'un emploi précis; cela va des postes d'ouvrier débutant aux métiers spécialisés, en passant par les gestionnaires de projet.
Le gouvernement insiste sur le fait qu'il apporte des changements pour encourager les employeurs à embaucher plus de personnes qui sont déjà au Canada.
«Il y a des Canadiens, des résidents permanents, des gens qui vivent ici en ce moment qui peuvent occuper ces emplois. Ce que nous ne pouvons pas permettre avec le programme des travailleurs étrangers temporaires, c'est qu'il devienne un premier recours et un moyen de réduire les salaires canadiens et de négliger notre talent», a souligné le ministre Boissonnault lors d'une conférence de presse le 22 octobre.
Selon Rodrigue Gilbert, pourvoir des postes vacants dans le secteur de la construction n'est pas aussi simple que d'avoir les travailleurs sur un chantier. Les travailleurs de métier doivent avoir la certification Sceau rouge, qui représente l'atteinte de la norme nationale de connaissances dans un métier spécifique.
«Immigration Canada nous dit qu'entre 2019 et 2024, ils ont fait venir 50 000 résidents permanents ayant une expérience en construction. Mais avoir une expérience en construction dans d'autres pays et être qualifié Sceau rouge au Canada, ce sont deux histoires différentes», a-t-il fait valoir.
«Donc, selon nos chiffres, pour les personnes qui ont utilisé le processus de métier spécialisé (résidence permanente) pour entrer au Canada au cours des 10 dernières années, c'est plus proche de 9000.»
Un «virage tellement brusque»
Ces changements surviennent au moment même où le gouvernement exécute un pivot majeur sur l'immigration, réduisant le nombre de résidents permanents que le Canada admettra de 20 % en 2027.
«C'est un virage tellement brusque que je crains que la voiture et le passager ne soient considérablement endommagés au cours du processus», a soulevé la sénatrice Ratna Omidvar.
La sénatrice indépendante, qui prend sa retraite cette semaine et présidait le comité des affaires sociales, comprend la raison pour laquelle le gouvernement a fait un pivot sur les travailleurs étrangers temporaires et l'immigration, mais elle s'inquiète des conséquences potentielles de ces actions.
«Cela répond en grande partie au problème de la disponibilité des logements et de l’accès aux services, qui sont limités à ce stade. Je dois être d’accord avec ces conclusions», a-t-elle affirmé.
«Mais l’ampleur des changements, l’impact sur le marché du travail; nous allons peut-être rendre les logements plus accessibles aux Canadiens, mais la promesse de construire plus de logements sans que davantage de travailleurs viennent au pays, je m’inquiète des effets imprévus à court et à moyen terme de ces décisions. »
La sénatrice Omidvar a ses propres idées pour réformer le programme des travailleurs temporaires, axées sur la réduction des abus dans le système. Ces idées comprennent le fait de lier les permis à un secteur plutôt qu’à un employeur spécifique, de faire des inspections surprises sur les lieux de travail la norme et de créer une commission pour coordonner les besoins des employeurs, des travailleurs et du gouvernement.
Le gouvernement semble prêt à imposer d’autres mesures, si le nombre de travailleurs temporaires au pays ne diminue pas à la suite de ces changements.
David Baxter, La Presse Canadienne
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