Difficultés d’apprentissage et de communication en maternelle
Une étude souligne l'importance des CPE pour les enfants allophones
Par La Presse Canadienne
Les enfants allophones qui fréquentent un service de garde sont mieux préparés lorsqu’ils entrent à la maternelle, démontre une nouvelle étude dont les conclusions ont été partagées en primeur avec La Presse Canadienne.
Les enfants allophones éprouvent fréquemment des difficultés d’apprentissage et de communication en maternelle, préviennent les auteurs, ce qui pourra ensuite avoir des répercussions néfastes sur leur parcours scolaire.
Les services d’éducation préscolaire contribueraient de manière significative à réduire l’écart entre les enfants dont le français est la langue maternelle et ceux pour qui le français est une deuxième, voire une troisième langue.
«On parle de familles qui ne parlent possiblement pas le français, ou à tout le moins qui choisissent de ne pas parler français, a expliqué l'auteure de l'étude, la professeure Sylvana Côté de l'École de santé publique de l'Université de Montréal. On voit que ces enfants sont moins bien préparés à commencer l'école que s'ils avaient fréquenté un service de garde préscolaire.»
En bref, a dit Mme Côté, «être exposé à d’autres enfants et à une équipe d’éducatrices prépare beaucoup mieux à l’école que de grandir dans une maison où l’on ne parle ni le français ni l’anglais».
En s'appuyant sur les données de l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle de l’Institut de la Statistique du Québec, Mme Côté et ses collègues ont rejoint, entre février et mai 2022, quelque 81 000 enfants inscrits à la maternelle et qui avaient, en moyenne, six ans.
Au moment de l’enquête, 6,1 % des enfants de maternelle au Québec provenaient de familles allophones. Les chercheurs ont constaté que tout près de 14 % de ces enfants sont demeurés à la maison avant leur entrée à l’école, contre seulement 6 % des enfants de langue maternelle française ― un écart possiblement attribuable à une moins bonne connaissance du réseau ou à des préférences culturelles «qu'il faut respecter», a dit Mme Côté.
Les résultats, assure-t-on, «sont limpides»: les enfants allophones qui avaient fréquenté un service de garde avaient un meilleur développement cognitif, en plus de présenter de meilleures habiletés sociales et émotionnelles. Leurs habiletés en communication étaient également meilleures, notamment en raison de connaissances générales jugées suffisantes.
«Les services de garde préscolaires favorisent la mixité sociale et l'intégration sociale de tous les enfants, a dit Mme Côté. Ça fait que (les enfants) qui n'auraient peut-être pas les bases qui permettent de répondre aux attentes de l'école les acquièrent s'ils vont dans un service d'éducation préscolaire.»
Des bienfaits similaires, mais moindres, ont été vus chez les enfants allophones qui avaient fréquenté une prématernelle à quatre ans.
Habiletés différentes
Il ne faut pas en conclure, a précisé Mme Côté, que les enfants qui grandissent dans des familles allophones ont de moins bonnes capacités de communication ou de moins bonnes connaissances générales, «mais ils ont des connaissances générales qui sont différentes de ce qu'on s'attend qu'ils aient à l'école».
«Et leurs habiletés de communication ne sont pas les mêmes parce qu'ils arrivent dans un contexte où ce n'est pas la langue dans laquelle ils ont évolué pendant les cinq premières années de leur vie, donc c'est juste logique», a-t-elle ajouté.
Les enfants allophones offrent à tous les autres enfants l'occasion de vivre le multiculturalisme et d'acquérir des connaissances générales «beaucoup plus variées», a poursuivi Mme Côté.
«Si on se fait des amis de différentes cultures à deux ou trois ans, on a beaucoup moins de réticences envers ces cultures-là quand on est plus grand, a-t-elle rappelé. Il y a beaucoup moins de défis à développer le tissu social à ces âges-là que si on attend plus tard.»
Donc, si on travaille avec ces enfants-là, «ça leur permet non seulement d'être mieux préparés pour l'école, mais aussi, possiblement, d'enrichir les autres avec des connaissances qui sont différentes de celles qu'on aurait s'ils n'étaient pas là», a dit la chercheuse.
Mme Côté estime donc que, même si le bilinguisme est excellent pour le cerveau, il «est primordial de s’assurer que les enfants dont la langue maternelle n’est pas le français ne soient pas pénalisés par la rareté des places dans les services d’éducation préscolaire en centre», pour éviter de tomber dans un cercle vicieux où l'enfant allophone acquiert un retard qu'il ne finit ensuite plus de rattraper.
L'étude montre que l'accueil de la petite enfance a de grandes tailles d'effet, et il est rare qu'on voie de grandes tailles d'effet, a-t-elle dit.
«Ça suggère que dans nos politiques d'accueil des étrangers, on a ici un levier important pour faciliter l'accueil de ces enfants-là quand ils arrivent à l'école parce que la maturité scolaire est un déterminant très important du reste de la trajectoire scolaire, a indiqué Mme Côté. C'est LE meilleur prédicteur du décrochage scolaire. Il faut donc partir du bon pied.»
C'est à ce moment, poursuit-elle, «qu'on peut inviter plus chaleureusement et avoir des politiques plus inclusives qui respectent les différentes cultures et favoriser l'accès et le partage de ce multiculturalisme».
«À la petite, petite enfance, donc à un ou deux ans, les parents peuvent avoir des préférences culturelles, a conclu Mme Côté. Mais à trois, quatre ou cinq ans, le village qui élève l'enfant, il est dans les services d'éducation préscolaires parce que les enfants ont besoin de stimulation et d'interactions sociales.»
Les chercheurs ont procédé à une pondération des résultats, de manière à prendre en compte la situation financière des familles. L’étude démontre l’impact des services d’éducation préscolaire au-delà du statut économique, a assuré Mme Côté.
Les conclusions de cette étude ont été publiées par la prestigieuse revue médicale JAMA Pediatrics.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
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